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Les vacances sont propices à la lecture. J’ai relu cet été, un petit ouvrage méconnu et pourtant bien riche de leçons. Jonathan Swift est connu de nos élèves pour ses Voyages de Gulliver, chirurgien de marine qui se retrouve après un naufrage chez les Lilliputiens. Mais il l’est moins pour son pamphlet La bataille des Livres publié en 1704 qui, par le truchement d’une bagarre entre une abeille et une araignée, expose deux modes d’apprentissage, deux manières de se former, d’agir dans la réflexion.

Voici ce que dit l’araignée s’adressant ici à la petite abeille : « Tu n’es qu’une vagabonde, une gueuse, […] tu ne trouves ta substance que dans un brigandage universel,[…] et tu as tant de penchant pour le larcin que tu dérobes les orties comme les violettes, simplement pour le plaisir de dérober. Pour moi, c’est de mon propre corps que je tire tout ce qui m’est nécessaire pour ma subsistance. Mon habileté égale mes trésors, et pour te faire voir quels progrès j’ai fait dans les mathématiques, examine bien ce château : non seulement tous les matériaux en sont émanés de ma substance même, mais mes propres mains l’ont bâti, j’en suis l’architecte. »

Les abeilles seraient ceux qui butinent le suc des grands textes, puisant dans la docilité humble à leurs maitres, leur savoir et leur réflexion. Après une lente digestion, une patiente maturation, elles produisent un miel de grande qualité, qu’elles offrent au monde. De ce butinage, de ce frottement méticuleux aux grands auteurs, aux poètes, nait une nouvelle intelligence grandie et embellie.

Emile Zola, sur le linteau de sa cheminée, avait reproduit ces mots de Pline l’Ancien dans Histoire naturelle, “nulla dies sine linea”…. Aucune journée, sans (écrire) aucune ligne : tous les jours copier, imiter, s’imprégner d’un auteur pour s’en émanciper et devenir à son tour grand et original.

Telle fut la méthode de celui qui composa le chef d’œuvre des Rougon-Macquart.

Les araignées, elles, tirent d’elles-mêmes, de leurs excréments, le fil de leur toile géométrique. Sûres d’elles, persuadées n’avoir besoin que d’elles-mêmes, elles tirent de leur propre génie ce qui fait une œuvre superbe, tissée, logique… mais qui emprisonne. Elles représentent l’esprit certain et arrogant qui ne se sent pas obligé de consulter les autres quand ils ont une décision à prendre.

Ils ne croient qu’en eux, dans leur examen libre, leur solitude féconde, dans leur créativité naturelle. De cette suffisance, nait une créativité stérile et froide.

Aux Vignes, cette année encore, nous serons abeilles : modestes, nous mettons nos pas dans ceux qui nous ont précédées, nous butinerons les grands textes, nous apprendrons par cœur les poèmes, nous ferons des grands auteurs, nos compagnons de route. Et d’une lente digestion, qui durera notre collège et notre lycée, naîtra un jour notre propre génie, celui que nous révélerons et qui nous donnera peut-être à notre tour de devenir de brillants créateurs.

Alors, élèves, professeurs, parents, retroussons-nous les manches et œuvrons ensemble avec patience, modestie et détermination.